31 janvier 2016

La femme qui fuit

Auteur : Anaïs Barbeau-Lavalette
Titre : La femme qui fuit
Éditeur : Marchand de feuilles
Parution : 2015
Format : 378 pages

Résumé :

La troisième publication de la cinéaste et auteure Anaïs Barbeau-Lavalette est inspirée de la vie de sa grand-mère, Suzanne Meloche, une peintre et poète automatiste, qui abandonna ses enfants pour suivre « ses désirs les plus profonds ». Sans cautionner le geste, la romancière sonde le rapport conflictuel entre maternité et création. Elle situe aussi cette décision dans le contexte de l'époque. Nous sommes en 1952, au lendemain de la parution du Refus global, un manifeste qui s'oppose aux valeurs conservatrices du Québec duplessiste. La fuite de Suzanne Meloche s'inscrivait-elle dans le « sauvage besoin de libération » revendiqué par ce texte révolutionnaire ? Était-ce le prix à payer pour vivre sans entraves ? En reconstituant le passé de cette femme artiste, qui militera ensuite pour les droits civiques des Noirs américains, Anaïs Barbeau-Lavalette nous fait traverser le siècle telle une comète incandescente, à la limite du vacillement.

Ce que j'ai aimé :

Par esprit de contradiction, j'étais plutôt réticente à entreprendre la lecture de ce bouquin qui a été très encensé cet automne. Au premier abord, le style de l'auteure ne m'a pas vraiment séduite. Les phrases me semblaient trop courtes et freinaient l'élan de ma lecture : « Tu souris. Ne chancelles pas, ne sembles presque pas surprise. Pourtant. La dernière fois ensemble, j'étais naissante ». Je butais constamment contre les points et devais alors revenir en arrière pour englober le sens des mots en un seul coup d'œil. Rien de plus étrange pour un roman qui aborde la question de la liberté que cette écriture morcelée, plombant l'aile de l'envolée narrative. Heureusement, plusieurs passages ultérieurs sauvent la mise : « Tu danses avec lui plaqué sur toi, tu danses du ventre et du sexe, tu l'éclabousses d'une force terrienne et joyeuse, tu lui offres un corps-à-corps, un bouche à bouche, tu le ramènes à toi, tu le colles à la vie qu'il lui reste ». Peut-être est-ce une impression bien personnelle, mais j'ai préféré la valse des virgules aux coupures saccadées. Enfin, c'est surtout l'histoire qui a soutenu mon intérêt.

Tout d'abord, j'ai aimé plonger dans l'effervescence artistique qui entoure le Refus global : la vie d'atelier, les grandes toiles nappées de traits spontanés, l'expérimentation langagière. Le roman jette un nouvel éclairage non seulement sur l'histoire de l'art, mais sur l'histoire des femmes. Dans cette période d'après-guerre, où l'on considérait que la place des femmes était à la maison, il fallait de la détermination pour s'engager dans un parcours différent. L'artiste Suzanne Meloche trouvera peu de soutien dans son entourage et ses poèmes ne seront publiés que 30 ans après leur création. S'il est difficile de concevoir l'abandon maternel, on en vient toutefois à comprendre sa soif de liberté dans ce climat étouffant. La grande force d'Anaïs Barbeau-Lavalette a été de partir de cette absente et de nous la rendre humaine. Au fil des pages, elle prend vie devant nous et on veut en savoir plus sur les tournants de son destin, qui a été composé de chutes, de combats et de désirs. La progression maîtrisée de l'intrigue doit beaucoup à l'expérience de scénariste de Barbeau-Lavalette. À l'aide d'une plume visuelle et séquencée, nous parcourons cette fiction biographique, de 1930 à aujourd'hui, sans jamais s'ennuyer. De plus, il est touchant de voir comment la romancière a transformé ce manque filial en un livre sur le pardon.

Extrait favori :

Quand tu te réveilles, il fait jour. Autour de toi, des couleurs. Tu as l'impression de te réveiller dans une forêt en automne, sous un vent fort. Seuls le bruit de caresse d'un pinceau et le souffle d'un homme habillent l'espace qui, soudainement, te semble immense.


Marcel Barbeau, Le tumulte à la mâchoire crispée, 1946

4 commentaires:

  1. Ce roman m'intimide. On le voit partout, on l'acclame, on l'aime ! Je me demande si quelqu'un comme moi qui n'évolue pas du tout dans le monde des artistes peut l'aimer aussi. Je le lirai sans doute car je suis tout de même très curieuse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça n'a pas été un coup de cœur pour moi, mais je suis contente de l'avoir lu. Je crois que chaque être humain peut se retrouver dans cette quête de liberté, qu'il soit artiste ou pas. Ne t'en fais pas, ça reste très accessible comme roman. Le contexte de l'époque est bien expliqué. Comme tu aimes découvrir l'histoire du Québec à travers la fiction, ça pourrait te plaire ! :)

      Supprimer
  2. Je laisse la poussière retomber... J'ai lu quelques pages et je n'ai pas accroché! J'ai peur d'être déçue parce que son succès est encore frais. Un jour j'aurai peut-être moins d'attentes!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hihi, tu es plus sage que moi ! Je pense que tu as mis le doigt sur ce qui a modéré mon enthousiasme : les fameuses attentes ! ;)

      Supprimer