Auteur : Jean-François Caron
Titre : Rose Brouillard, le film
Parution : 2012
Éditeur : La Peuplade
Format : 239 pages
Résumé :
Une cinéaste est engagée pour réaliser un documentaire sur Rose Brouillard, la fille du gardien d'une île isolée dans le fleuve St-Laurent.
D'abord introuvable, Rose est finalement retracée dans le quartier Villeray de Montréal, où elle coule ses vieux jours. La réalisatrice lui propose de retourner sur les lieux de son enfance et de raconter son histoire afin de témoigner du passé.
C'est donc au fil de sa mémoire défaillante que nous remontons le temps pour retrouver son île et les bribes de son souvenir.
Ce que j'ai aimé :
-C'est un texte à plusieurs voix. Nous avons les 3 voix de Rose Brouillard : enfant, adolescente et vieillissante. Nous avons celles de son père Onile et de sa mère disparue. Nous avons celles de la réalisatrice et de son amant. Nous avons la narration des gens de la côte et des touristes. J'ai bien aimé l'aspect théâtral que cela donne au récit, avec les didascalies nous annonçant qui va prendre la parole. Ces didascalies tiennent lieu de pauses, puisque ce roman peu conventionnel n'a pas de chapitres. Comme le sujet fait référence au monde du documentaire, on peut aussi les voir comme des notes de montage ou les séquences d'un film.
-C'est une écriture très poétique, proche de l'oralité, du conteur. L'utilisation de la ponctuation et de la typographie contribue à nous faire ressentir le débit et le rythme de chaque passage.
-On sent que l'auteur aime les personnes âgées et les admire. La manière qu'il les met en scène est pleine de tendresse. On ressent aussi son amour pour notre patrimoine, notre histoire.
-C'est un livre de murmures, de vent, de rumeurs et de mirages. Il décrit la solitude, la nature déchaînée et sauvage.
-Mon copain et moi avons campé quelques jours sur l'Île aux Lièvres, un petit bijou de verdure au milieu du fleuve St-Laurent. C'est dans les souvenirs de ce court séjour insulaire que je suis allée plonger pour me retrouver dans l'ambiance de l'île de Rose Brouillard. Je me rappelle cette marche en forêt où je me posais plusieurs questions sur le passé de l'île : est-ce que des gens ont vécu ici ? y sont échoués, un soir de tempête ? C'est comme si j'avais une forme de réponse, qui plaît tout à fait à mon imaginaire.
Extraits favoris :
« L'horizon ne manque pas à ceux qu'il n'a jamais possédés. Mais quand on a si longtemps été pris par lui, le manque doit sauter au visage au moindre mur de brique, à chaque coin de rue tourné, derrière chaque carrefour traversé. »
« Par cette fenêtre, et dehors tout autour, il y a le fleuve. C'est le seul qui ne fait jamais défaut. Toujours, il est là, de tous les côtés à la fois. On ne peut pas l'embrasser, c'est lui qui le fait, qui nous embrasse. Il est autour, devant, de tous les côtés, même dans le bois d'en arrière. Autour, sur moi, sous moi et en moi. Il est tout ce qui est, d'abord et avant tout. Je le sais parce que je ne suis rien devant lui. Et en lui, je suis petite. »
« Onile le pêcheur, Onile le veilleur sans phare, sans canon ni corne de brume, Onile, le papa de mon histoire, il comprenait toutes ces parlures étranges. Celles du temps qu'il fera, surtout. Mais les autres aussi. Quand on vit si longtemps avec quelqu'un, on parle les mêmes phrases. Dans le même ordre. Avec le même accent. Celui du silence. »
« il n'y a plus d'odeur dans ce monde que la tienne, d'épices et de géranium, et celle du foin, implacable, qui colle à tout ce qui est en réalité, et l'air toujours frais et humide de l'île n'existe plus, et le hurlement du vent coulis, qui fuit par les cadres de fenêtres et de portes se tait, pour faire revivre le silence épais de la vieille grange autour de nos corps blets, »
« rien qu'une inutile inquiétude, celle de te retrouver démembré au détour de la guerre, démembré et incapable, celle de ne plus trouver tes mains au bout de tes bras, tes longues mains capables de tout sur ma peau, sur mon corps, rien, rien de tout ça, qu'un espoir vain dans ma tête, qu'une inutile inquiétude, »
« Il me l'a raconté souvent. Quand son ivresse du soir était une perche tendue vers moi, que j'attrapais pour grimper sur ses genoux. La tête sur son torse maigre et velu, l'oreille calée dans l'ouverture de sa chemise défaite, à écouter la source abyssale de sa voix. »
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