15 mai 2014

Chez la reine

Auteur : Alexandre Mc Cabe
Titre : Chez la reine
Éditeur : La Peuplade
Parution : 2014
Format : 162 pages



Résumé :

Depuis quelques années, plusieurs écrivains québécois s'inspirent de leur région natale pour nourrir leur imaginaire. Pensons à Samuel Archibald avec Arvida (Saguenay) et William S. Messier avec Dixie (Brome-Missisquoi). Ces auteurs ont ancré leurs histoires dans le territoire qui les a vus grandir. Plus récemment, Alexandre Mc Cabe a fait paraître son premier roman, Chez la reine, campé dans le village de Sainte-Béatrix (Lanaudière), où il est né en 1981. J'ai choisi de faire ressortir les particularités de Chez la reine en le comparant à ses contemporains, par le biais de mes lectures antérieures issues du « néo-terroir ».

La place de l'oralité

Chez Mc Cabe, on constate une différence marquée entre la narration et les dialogues. Les passages narratifs emploient un français classique, dans un registre plus littéraire. L'oralité se retrouve dans les dialogues en joual, truffés d'élisions : « A' que'qu'chose c'te fille-là. Maudit qu'est belle ». Cette cohabitation entre deux niveaux de langue peut surprendre au départ. Chez Archibald ou Messier, nous étions habitués à une oralité forte, généralisée à l'ensemble du texte. Il faut comprendre que le narrateur de Chez la reine, étudiant en littérature, ne pouvait s'exprimer en joual : « À mes retours à Sainte-Béatrix, je sentais combien la littérature avait creusé un fossé entre les miens et moi ». Il est donc logique qu'il utilise un vocabulaire plus soutenu, sans toutefois être condescendant. J'ai apprécié son amour des mots et de la poésie, même si je ne m'attendais pas initialement à cet aspect raffiné, lyrique.

La douceur du narrateur

On associe la littérature du « néo-terroir » à une certaine rudesse, une texture rugueuse, élimée à même les arbres et les chemins de terre. Dans Arvida ou Dixie, plusieurs personnages masculins sont habités par la violence, par des peurs qui grondent. Malgré le décor rustique de Chez la reine, le narrateur a un rapport plus contemplatif avec la nature. Alexandre Mc Cabe nous offre un conteur romantique, admiratif de Gaston Miron : « Je célébrais son corps dans une exaltation joyeuse, comme on chante un pays de soleil ». On assiste à l'éclosion de ce jeune homme sensible. On suit ses réflexions, ses pensées tendres envers ses proches. Il s'agit d'un être rêveur, qui sait reconnaître d'où il vient : « L'exil, pour douleureux qu'il puisse être parfois, a cette vertu de nous faire apprécier ce que nous avons quitté ». Puisque le récit s'avère largement autobiographique, on peut donc conclure que l'auteur rend hommage à ses ancêtres − hommes des bois, draveurs, cultivateurs − sans renier sa nature intellectuelle, mariant le passé avec sa réalité actuelle.

La dimension politique

Selon moi, toute écriture régionaliste possède une dimension engagée, par sa façon d'habiter le territoire, de renouer avec ses origines, ses légendes. Elle sous-entend l'idée de transmission. Samuel Archibald a puisé dans les histoires de son père. William S. Messier a étoffé son roman de recherches historiques, reliées à la frontière américaine. Pour sa part, Alexandre Mc Cabe a choisi d'aborder l'histoire politique du Québec, en passant par nos défaites référendaires. Il a sondé nos épines, nos souffrances, nos contradictions. L'idée est bien défendue, mais j'ai trouvé qu'il y avait un manque d'équilibre entre cette partie et le reste du roman. Peut-être aurait-elle pu être amenée plus tôt ? Néanmoins, Alexandre Mc Cabe a réussi une ode délicate à l'endroit de son héritage, autant familial que littéraire. C'est à souligner !

Extrait favori :

« Les souvenirs de ces réunions quotidiennes s'étaient construits, au fil du temps, comme les tableaux d'un musée intérieur qui cristallisaient les humeurs et les gestes coutumiers de mes proches. La fresque qu'ils composent désormais évoque les différents instants d'une semaine cent fois répétée, et dessine une année se confondant avec toutes celles que j'ai vécues auprès des miens. [...] Si le paysage pastoral et immuable de Sainte-Béatrix en est l'arrière-plan sobre, la maison de ma tante demeure son principal décor. Des rituels familiaux qui ont marqué mon enfance, le café chez ma tante demeure le plus typique et sans doute le plus heureux de tous. »

Lu dans le cadre de La recrue du mois


8 commentaires:

  1. La cohabitation des deux niveaux de langue selon que l'on se trouve dans les passages narratifs ou dans les dialogues est identique chez Michel Tremblay, non ? On ben coudon, chu p'tet ben dans patates moi itou ! ;-)

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    1. Oui, on retrouve ça chez Tremblay aussi. J'ai l'impression que c'est encore plus frappant dans ce roman. C'est une narration un peu proustienne, qui sied très bien à l'évocation de souvenirs.

      C'est assez différent de la narration vernaculaire de Dixie, où on retrouve des mots comme garrocher et se bourrer la face. Personnellement, j'aime bien les deux styles ;)

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    2. Celui-ci m'attend à la bibliothèque (j'ai eu l'appel téléphonique hier soir ). Je vais donc commencer par cette lecture, mais j'avoue que Dixie me tente aussi, car j'ai vécu dans Brome-Missisquoi.

      C'est définitivement ainsi, par ses auteurs, que l'on découvre le mieux un pays je crois. j'en suis personnellement un peu plus convaincue chaque jour. Le choix des mots est en lui-même un concentré de culture. Chacun d'entre eux vaut, à mon sens, pour plusieurs pages de manuel historique rébarbatif ! :-)

      Je te souhaite une très belle fin de semaine.

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    3. Oh chouette ! Je te souhaite une très agréable lecture :)

      Tes mots sur la littérature québécoise me font chaud au coeur, Marion ! Il y a tant à apprendre sur notre histoire, sur les différentes régions. Bonne journée ensoleillée à vous trois :)

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  2. Si tu parles de narration proustienne... je note assurément!

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    1. Oui, c'est un style plutôt littéraire. Je crois que ça te plairait :)

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  3. Pas de Proust pour moi mais ton BEAU billet me tente, il est noté pour ma prochaine visite à la bibliothèque.
    Le Papou

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    1. Je pourrais me tromper, mais mon petit doigt me dit que ce thème vous intéressera. Bonne journée Le Papou :)

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