Titre : Les portes closes
Éditeur : Boréal
Parution : 2013
Format : 232 pages
Résumé :
Philippe et Catherine forment un couple de peintres reconnus, ils ont trois filles, une maison cossue. Au premier coup d'oeil, le glacis semble parfait, mais en y regardant de plus près, le vernis craque. Avec le temps, leur amour a pris l'aspect d'une nature morte, desséchée par les mensonges et les trahisons.
Nous les retrouvons, chacun dans son atelier respectif, derrière des portes closes. L'auteure oscille entre l'univers de Philippe, aux toiles grandioses et lascives, et celui de Catherine, plus intimiste et près du quotidien. En alternant entre ces deux solitudes, Lori Saint-Martin brosse un portrait clair-obscur d'une relation qui traverse le temps, liée par l'art et les conventions tacites.
Ce que j'ai aimé :
-Le roman est divisé en courts chapitres, autant de petites notes que l'on glisse sous le seuil et lit en secret; une écriture coupée au couteau, maîtrisée et pénétrante. Derrière ces touches précises, gronde une rage contenue, un désir balisé. « J'aurais passé ma vie du mauvais côté des portes closes, et lui, à l'intérieur avec une autre. » Par le trou d'une serrure, on observe l'artiste à l'oeuvre, entouré de jeunes femmes. Des modèles flamboyantes et éphémères, qu'il utilise pour capter la beauté d'une pose, puis rejette après usage. De son côté, Catherine préfère fermer les yeux.
-Le dialogue entre ces deux êtres se construit de manière indirecte, par des questionnements qui se répondent. Trente-cinq ans de mariage, est-ce un leurre ou une réussite ? Avec une lucidité pointue, l'auteure fait éclater les mythes du parfait bonheur. « Des absents tendres, voilà ce que nous sommes devenus, après tant d'années. Nous avons trouvé le calme, ou un faux-semblant. » La romancière joue sur ces vérités en demi-teintes, cachées ou révélées. Elle utilise la symbolique du visage, pour exprimer l'identité fragmentaire et ondoyante de l'autre. Des minois à peine esquissés pour les nus de Philippe, tandis que le profil de Catherine se détache, clair comme une madone.
-Véritable pierre angulaire de cette union, l'art occupe une place de choix dans ce roman. Avec un grand souci du détail, l'écrivaine balaie du regard les couleurs, les textures, un grain de peau. Cet aspect apporte beauté et délicatesse au ton parfois sombre du récit. Inspiré du réalisme flamand, l'écrivaine met en lumière des objets de la vie ordinaire : olives, noix, oeufs à la coque, bouteille de vin rouge. Le fait qu'elle insère ces descriptions dans des scènes journalières renforce ce sentiment de proximité entre l'art et le quotidien. « Il faut une grande violence pour être artiste, sinon on renonce en chemin », énonce Catherine. Au final, la liberté de création est peut-être un liant plus fort que l'amour pour ce couple. Une marque de compréhension qui, grâce à cette vocation commune, retrouve son chemin entre les désillusions et les habitudes.
-Avec ce premier roman, Lori Saint-Martin nous livre un diptyque dense et mature. Reconnue pour son talent de tradutrice, elle nous dévoile maintenant un univers qui lui est propre, soutenu par une force d'écriture indéniable.
Extraits favoris :
« Je pense qu'il n'y a pas de vraies surprises dans ce monde, seulement des choses qu'on arrive un moment à se cacher. »
« Carmen est une pivoine rose vif, un tintement argenté. Elle grimace comme pour se rendre moins jolie, mais elle ne réussit qu'à avoir l'air d'une jolie femme qui grimace. »
« Et c'est la lumière d'or dans nos veines, le chant du sang sous la peau, le sel et les vagues, l'abandon, les pas chancelants qui nous conduisent à la chambre, amour lent, murmures, bribes de français et d'espagnol, mi amor, mi vida, odeur de lilas, larmes de bonheur à toucher sans fin ce corps nouveau. »
Lu dans le cadre de La recrue du mois
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