14 octobre 2014

1984

Auteur : George Orwell
Titre : 1984
Éditeur : Gallimard
Parution : 1950
Format : 448 pages

Résumé :

Le roman 1984 de George Orwell entretient de nombreux rapports avec la réalité. L’écrivain a été influencé par le contexte socio-politique de son époque, soit la montée des régimes totalitaires en Europe. De plus, il a été profondément marqué par sa propre participation à la guerre d’Espagne. Le présent billet est un résumé d'un travail universitaire que j'ai rédigé dans le cadre du cours LIT-4001. Il tente de démontrer les liens entre cette oeuvre de fiction et les excès du totalitarisme. Dans cet exercice, j'examinerai certaines de ces similitudes, telles que la falsification du passé, l'invasion de la vie privée, le culte du chef et la transformation de la langue.

La falsification du passé

Dans 1984, le personnage principal, Winston Smith, travaille pour le ministère de la Vérité. Son emploi consiste à modifier des articles de journaux selon la volonté du Parti. Pour être conforme à la ligne politique en cours, le ministère de la Vérité réécrit le passé. Il efface ainsi toute trace qui pourrait mettre en doute l’infaillibilité du chef. George Orwell fera directement l’expérience de cette technique de propagande lors de sa participation à la guerre d’Espagne en 1936. Militant au sein du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste), son organisation sera démantelée par les forces staliniennes. La presse communiste accusera faussement le POUM d'être une organisation fasciste oeuvrant secrètement à la solde de Franco et d'Hitler.

« Tôt dans ma vie, j’ai remarqué qu’aucun événement n’est jamais relaté avec exactitude dans les journaux, mais en Espagne, pour la première fois, j’ai vu des articles de journaux qui n’avaient aucun rapport avec les faits, ni même l’allure d’un mensonge ordinaire. J’ai lu des articles faisant état de grandes batailles alors qu’il n’y avait eu aucun combat, et des silences complets lorsque des centaines d’hommes avaient été tués. […] J’ai vu, en fait, l’histoire rédigée non pas conformément à ce qui s’était réellement passé, mais à ce qui était censé s’être passé selon les diverses lignes du parti. »1

Douze années s'écouleront entre la participation de George Orwell à la guerre civile espagnole en 1936 et sa rédaction du roman 1984 en 1948. Par contre, cet événement aura eu un effet marquant sur l’auteur, car il en sortira convaincu de l’importance de dénoncer le totalitarisme à travers son œuvre.

Une dictature de la peur

Le télécran de 1984 est un moyen technologique utilisé par le Parti pour diffuser et recevoir de l’information. La Police de la Pensée peut se brancher sur une ligne individuelle, à n’importe quel moment, afin de surveiller les faits et gestes d’une personne, sans qu’elle ne le sache. Puisque l’appareil ne peut être fermé, il permet un contrôle permanent sur la vie privée des gens. Le crime fondamental que cherche à capter le télécran est le crime par la pensée, soit celui d’avoir des idées qui vont à l’encontre du Parti. Le télécran peut déceler ce crime en analysant les expressions du visage. Un individu peut également être dénoncé par ses proches, ses voisins ou son propre enfant. Très tôt, les enfants apprennent à devenir des délateurs dans la ligue des Espions. George Orwell rend ainsi compte d’un climat social où l’intimité et la confiance n’existent plus.

Nous pouvons faire un parallèle entre cette dictature de la peur et le contexte socio-politique de l’époque. De 1936 à 1938, Staline a organisé les procès de Moscou, pour éliminer des vétérans bolcheviks. Des accusations sont créées de toutes pièces par le NKVD, la police politique de l’Union soviétique, et ceux qui sont considérés comme des traîtres sont exécutés. Ces méthodes répressives instaurent la terreur au sein de la population. Ce système de délation se retrouve également au centre du roman de George Orwell. Dans 1984, des gens sont arrêtés durant la nuit, puis disparaissent. L’adhérence au Parti est essentielle et chaque personne qui s’y oppose risque la mort. Winston Smith sera lui-même arrêté, puis torturé dans la troisième partie du roman. Le Parti de 1984 régit les actes, mais aussi les pensées de la population. Il dicte à l’individu ce qu’il doit croire, jusqu'à ce que son jugement personnel soit anéanti.

Plus personnellement, George Orwell sera touché par l’arrestation de son ami Georges Kopp, commandant du POUM durant la guerre d’Espagne. Lors d’une visite à la prison de Barcelone, Orwell le trouvera vieilli et souffrant du scorbut. Kopp aura été interrogé pendant 135 heures par des tortionnaires russes, puis isolé dans un cachot infesté de rats. La torture de Kopp, qui le transformera en un vieillard voûté et émacié, rappelle l’image du personnage Winston Smith de 1984, lors de son passage dans la salle 101. On peut en déduire que le destin de Kopp a eu un impact considérable sur le projet d'écriture de George Orwell. Encore une fois, la fiction rejoint la réalité de façon troublante.

Le culte du chef

Dans l’univers de 1984, Big Brother est le nom de ce chef infaillible et tout-puissant qui engendre l’adoration des masses. Durant la session de propagande des « Deux minutes de la Haine », le visage de Big Brother apparaît « plein de puissance et de calme mystérieux » sur le télécran. À la vue de cette figure mythique, la population scande fanatiquement son nom. George Orwell décrit cet hymne à la majesté de Big Brother comme « un acte d’hypnose personnelle, un étouffement délibéré de la conscience par le rythme ». Big Brother est adulé, mais également craint. Dans la ville, des affiches montrant le regard insistant de Big Brother sont apposées partout. Par la présence constante du slogan « Big Brother vous regarde », il maintient une forte emprise sur ses citoyens. Pourtant, personne ne l’a jamais rencontré ou ne connaît sa date de naissance. Il a surtout pour fonction de représenter la domination du Parti sur l’individu, en incarnant un personnage autoritaire et semi-divin.

Dans des études consacrées au stalinisme ou au nazisme, on a également souligné l’importance du chef. Staline a régné sur le Parti Communiste de l’URSS en éliminant la plupart de ses opposants. De plus, dans le manuel d’histoire du Parti communiste rédigé en 1938, le pronom « il » est utilisé sans distinction pour désigner le Parti, le comité central ou le chef. Nous pouvons aussi faire un parallèle entre la psychologie des masses du fascisme et les « Deux minutes de la Haine » de 1984. En effet, on a noté que le dictateur allemand, Adolf Hitler, a créé un lien mystique avec la foule, en se présentant comme un prophète. On retrouve cette même adoration exaltée dans 1984, lorsque Big Brother apparaît sur le télécran.

Une langue totalitaire

Le système totalitaire imaginé par George Orwell repose sur une langue totalitaire : le novlangue. Cette langue officielle permet au Parti de transmettre ses idées politiques de façon très précise et d’anéantir toutes les pensées dissidentes. Afin de diminuer la capacité de réflexion de la population, le Parti a réduit la richesse du vocabulaire et modifier le sens des mots qui pouvaient nuire. Ainsi, des mots comme : honneur, justice, démocratie, ont disparu du langage. Par ailleurs, des nouveaux mots ont fait leur apparition afin de véhiculer la doctrine du Parti. Le Parti a donc créé cette langue totalitaire afin de propager son idéologie d’une manière terriblement efficace et d'abolir la critique à son égard.

C’est alors qu’il travaillait à la BBC, de 1941 à 1943, que George Orwell a découvert le Basic English, un anglais simplifié inventé par le linguiste Charles Lay Ogden. Il a été un de ses principaux détracteurs. George Orwell s’est inspiré directement du Basic English pour créer le modèle du novlangue. Par ailleurs, plusieurs intellectuels ont établi des liens entre le lexique du novlangue et la langue des régimes totalitaires. Sidney Rosenfeld a dégagé des similarités entre le novlangue et l’allemand officiel du Troisième Reich, l’État nazi dirigé par Adolf Hitler. Dans un article publié dans Le Monde, l'historien Michel Heller a démontré les similitudes entre la langue orwellienne et la langue soviétique. Ainsi, nous pouvons conclure que la langue a été un outil utilisé par les systèmes totalitaires pour assujettir les masses et c’est ce que George Orwell a voulu critiquer à travers les règles du novlangue.

Une oeuvre intemporelle

Contrairement à certains critiques de George Orwell qui voyaient en 1984 une sorte de prophétie, on retient que son livre était plutôt une mise en garde contre les dangers du totalitarisme. Le totalitarisme est une doctrine qui peut surgir à tout moment, dans n’importe quel pays. George Orwell nous incite à rester vigilants afin que les horreurs du passé ne se reproduisent plus. Son message est toujours d’actualité en 2014. Tout récemment, le roman 1984 est devenu un symbole de résistance pour des militants thaïlandais s’opposant à la loi martiale qui interdit des rassemblements de plus de cinq personnes. Cette loi martiale a été adoptée le 20 mai 2014, depuis que l’armée thaïlandaise occupe le pouvoir. En réaction à cette loi répressive, plusieurs manifestants ont lu le roman 1984 dans la rue. Cela reste une preuve marquante que, encore aujourd’hui, cette œuvre continue d’interpeller tous les êtres humains épris de justice et de liberté.


1. George Orwell, Essais, articles, lettres, vol. II (1940-1943), Paris, Éditions Ivrea, 1996, p. 322-325 ; cité dans Louis Gill, George Orwell, de la guerre civile espagnole à 1984, Montréal, Lux, 2011, p. 128.

4 commentaires:

  1. Merci pour ce très bel article, très instructif. J'ai lu 1984 sur le tard, il y a deux ou trois ans et il m'a fait l'effet d'une gifle. Il est de ces livres qu'il ne faut jamais cesser de relire.

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    1. Cela me fait plaisir, Lili :) Tu as bien raison, c'est un livre nécessaire, à relire et à méditer longuement !

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  2. Je l'ai lu il y a quelques années et je l'avais adoré. C'est un incontournable, en effet !

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    1. Oui, tout à fait ! Merci d'être passée par ici. Je suis très heureuse d'avoir découvert ton blog par la même occasion :)

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