16 mars 2014

Quand le policier devient genre

© Miles Hyman
Ma session d'hiver va bon train. Cette semaine, j'ai fait la lecture d'un article de Uri Eisenzweig sur l'émergence du genre policier et sur sa réception critique.

Dans le milieu littéraire, le phénomène du roman policier a soulevé bien des passions. Issu du corpus populaire, certains le considéraient comme une sous-littérature. Ce texte critique se penche sur cette perception, en s'attardant aux réactions de la presse, ainsi qu'au contexte historico-culturel qui l'entoure.

Source bibliographique : Eisenzweig, Uri. « Quand le policier devient genre », Autopsies du roman policier, Paris, Union Générale d'Éditions, Coll. « 10/18 », no 1590, 1983.

Résumé de l'article :

L'émergence du genre :

  • On s'accorde actuellement à voir dans le Double assassinat dans la rue Morgue (1841), d'Edgar Allan Poe, le premier véritable récit de détection et dans L'Affaire Lerouge (1866), d'Émile Gaboriau, le premier roman policier de l'histoire de la littérature.
  • Malgré leur popularité, ces deux textes n'entraînèrent pas la constitution d'un corpus littéraire précis et génériquement délimité. Le concept même de roman policier ne surgit que tardivement par rapport aux textes qu'il prétend représenter. Le caractère de cette paternité est donc rétroactif.
  • Les premiers articles traitant de la littérature policière comme d'une catégorie distincte sont apparus durant les années 1890. Ils provenaient principalement de la presse anglo-saxonne.
  • Ce fut au cours de cette décennie que le terme « policier » commença à s'imposer aux dépens de « judiciaire ».
  • Au cours des années 1890, l'attitude de la critique traditionnelle à l'égard des ouvrages policiers se transforme radicalement. Il y a d'abord le fait que l'on consacre des articles au phénomène d'ensemble, plutôt qu'à un auteur en particulier. 

La réception critique :

  • Très vite, on assiste à une ségrégation entre la littérature policière et la littérature canonique. Au début de ce processus, les préoccupations sont surtout d'ordre moral. Des articles, parus dans le Blackwood's et le Westminster Review, suggèrent que cette littérature incite au crime et au vice. Cet argument sera constamment repris et de nombreux textes similaires suivront.
  • Au tournant du siècle, une préoccupation d'ordre plus directement esthétique survient. Le roman policier est perçu comme étant de la mauvaise littérature. Bien entendu, le plan moral et esthétique sont intimement liés.
  • Dès sa naissance, le roman policier se voit perçu comme un phénomène non-littéraire et on l'associe à un jeu présenté sous forme de récit. Dans les années 1930, la vogue passagère des « crimes dossiers », sorte de jeux de détection, vient renforcer cette idée.
  • La littérature policière est déconsidérée au moment même où on la perçoit comme genre. D'une certaine manière, on pourrait se demander si le roman policier n'est pas rejeté précisément parce qu'il s'agit d'un genre, d'une catégorie.

Le contexte historico-culturel :

  • Vers 1890, une crise du roman s'amorce en Europe. L'apparation du symbolisme remet en question l'héritage balzacien du roman réaliste. Le discours critique ressent le besoin de réaffirmer l'identité et la valeur du trésor littéraire. Dans ce contexte, un concept comme celui du roman policier est de la plus grande utilité.
  • Le roman policier sera condamné avec bien plus de passion que le récit d'anticipation ou le roman historique, puisque sa forme narrative s'oppose à celle du roman réaliste conventionnel. Le récit policier est vu comme un récit « à l'envers », qui va de la fin (le crime) au début (l'origine du crime). De plus, la psychologie des personnages est essentiellement absente du récit rigoureusement policier. En ce sens, il forme une sorte d'antithèse idéale.
  • Face à toutes les tentatives romanesques nouvelles, la littérature policière, définie comme un genre non-artistique, présentait au public une image quasi caricaturale de ce qui était à rejeter - et par contrecoup, lui indiquait ce qui était à préserver.

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