Auteur : Mikella Nicol
Titre : Les filles bleues de l'été
Éditeur : Le Cheval d'août
Parution : 2014
Format : 121 pages
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Résumé :
Deux jeunes femmes dans la vingtaine, Chloé et Clara, décident de s’isoler, l'espace d’un été, dans le chalet de leur enfance, la première sortant d’un séjour dans un centre psychiatrique et la seconde cherchant à oublier une peine d’amour. Le temps de panser leurs blessures, elles se coupent du monde et se créent un univers impénétrable, ponctué de cigarettes, de baignades et de réflexions. Puis, vient l’automne où elles doivent réintégrer la réalité : l’université, les amis, la ville. Hors du cocon qu’elles s’étaient fabriquées, elles ressemblent à des papillons fragiles se brisant les ailes en plein vol.
Ce que j'ai aimé :
Ce que j'ai aimé :
Qu’il s’agisse du jour et de la nuit, du corps et de l’esprit, ou bien encore de la fusion et de la séparation, les dualités abondent dans ce roman. La notion du double est présente sur le plan formel, alors que les chapitres alternent entre les voix des deux personnages centraux, Clara et Chloé. Ces prénoms ne semblent pas arbitraires, car le fait d’être formés de cinq lettres et de débuter par la même consonne renvoie à un effet miroir. Dès les premiers chapitres, les adolescentes énoncent une phrase presque en tout point identique. Alors que Clara affirme : « Du fond de mon lit, je le sens, ce mouvement qui emporte mes amis, les hommes, mes parents », Chloé poursuit en disant : « De mon lit, j’ai senti ce temps morne porter mes amis, les femmes, mes parents ». On croirait à des jumelles cosmiques, l’une diurne et extravertie, l’autre nocturne et introvertie. Elles se rejoignent cependant en une unité, par le caractère fusionnel de leur amitié.
L’auteure a privilégié un style homogène entre les héroïnes, ce qui donne l’impression qu’elles forment les facettes opposées d’une même femme. Le relatif effacement de la figure masculine – le seul homme présent étant nommé par le pronom il ou lui – renforce cette vision particulièrement féminine. Pour Chloé, l’ancien copain de Clara apparaît comme un gêneur, alors qu’il s’introduit momentanément dans leur intimité. Telles des âmes sœurs, Chloé et Clara semblent se suffire à elles-mêmes, malgré leur rapport différent au corps : négation pour l’une et liberté pour l’autre. Ce roman place donc le dualisme et la psyché féminine en son centre, rappelant ainsi l’œuvre d’Anne Hébert et de Virginia Woolf, deux écrivaines ayant grandement influencé le travail d'écriture de Mikella Nicoll.
Dans sa démarche, la primoromancière semble avoir mis l’accent sur le style plutôt que l’intrigue. Empruntant au domaine pictural, son texte m'a fait penser à la peinture préraphaélite, dans laquelle on rencontre des femmes aux cheveux longs et à la peau diaphane, un symbolisme complexe et un rapport sensible avec la nature. La scène finale pourrait être associée à l’Ophélie de Millais ou à La Dame de Shallot de Waterhouse. Sur le plan des symboles, on retrouve celui du miroir, qui renvoie à la notion du double. Il se reconnaît par le ciel étoilé surplombant leur ermitage : le mot miroir, venant du latin speculum, soit, à l’origine, de spéculer en observant les étoiles. La présence du lac soutient également cette idée du reflet miroitant et des abîmes secrètes. Par ailleurs, plusieurs éléments restent reliés à l’inconscient : l’eau, la nuit, la lune, la forêt. Les algues s'enroulant aux chevilles, les boucles se tordant dans un lit défait ajoutent une aura de mystère à ce récit truffé de non-dits.
Porté par une plume aérienne, organique et poétique – qui s’appuie toutefois sur la structure ferme d’un diptyque et le rythme régulier des saisons –, le premier roman de Mikella Nicol marque l’imaginaire. Elle a réussi son pari en entremêlant une réalité contemporaine facilement identifiable à une profondeur psychologique et métaphorique intemporelle. Par son charme obsédant, Les filles bleues de l’été laisse présager un très bel avenir littéraire pour la jeune auteure de 22 ans.
Extrait favori :
« Il y a eu un silence. Les épaules de Clara se sont mises à sauter très doucement. La face enfouie dans l'oreiller, elle m'a regardée avec son oeil des matins sans gloire. Le côté visible de son visage était trempé. Sa beauté s'était transformée en une douleur sourde. Elle portait le silence des boulevards en hiver. Elle portait sur elle la tristesse comme autrefois notre lac transportait à sa surface les pétales tombés des arbres. J'ai étiré le bras pour caresser cette partie de mon amie qui m'était encore accessible : l'espace blanc sur sa joue blessée. »
Extrait favori :
« Il y a eu un silence. Les épaules de Clara se sont mises à sauter très doucement. La face enfouie dans l'oreiller, elle m'a regardée avec son oeil des matins sans gloire. Le côté visible de son visage était trempé. Sa beauté s'était transformée en une douleur sourde. Elle portait le silence des boulevards en hiver. Elle portait sur elle la tristesse comme autrefois notre lac transportait à sa surface les pétales tombés des arbres. J'ai étiré le bras pour caresser cette partie de mon amie qui m'était encore accessible : l'espace blanc sur sa joue blessée. »
Lu dans le cadre de La recrue du mois
Un coup de coeur ? Super, je l'ai vu sur le mur des nouveautés à ma bilbiothèque ! Je ne sais pas si ce genre d'écriture me plaira mais je le note :)
RépondreSupprimerSi tu apprécies Anne Hébert ou Virginia Woolf, ça devrait te plaire. L'écriture est vraiment superbe !
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